L'ORIGINE DES SUBDÉLÉGUÉS
L'intendance de Bretagne a été la dernière créée de France, en 1689. C'est pourquoi son siècle d'existence, jusqu'en 1790, correspond à la période où, dans l'ensemble du royaume, les subdélégués sont pourvus de la réalité du pouvoir. À partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, le droit de subdéléguer est communément accordé aux intendants par une clause formelle de leurs lettres de commission, et subsiste jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Pomereu, le premier intendant de Bretagne, a reçu le pouvoir de subdéléguer en matière civile, à l'exclusion des matières criminelles, lui-même demeurant seul juge. Sa lettre de mission est en effet encore imprégnée de la doctrine colbertienne qui considère que toute décision doit être prise par l'intendant lui-même, doctrine qui reste en vigueur jusqu'à l'érection en titre d'office des subdélégués des intendants (Ricommard, « Les Subdélégués des intendants... », p. 81). Dès son arrivée, il en use pour envoyer des « correspondants » dans les principales localités de la province (Fréville, L'Intendance de Bretagne, t. 1, p. 50-52).
Mais c'est sous l'intendance de Nointel que l'institution des subdélégués prend un tour décisif : d'agents principalement d'information, ils deviennent agents d'exécution. « Très rapidement, leurs fonctions se précisèrent et ils reçurent délégation de pouvoir, généralement permanente, de l'intendant pour agir, en maintes occasions, en ses lieu et place. Ils eurent essentiellement un rôle d'information et de conseil. Il nous est difficile de préciser si les fonctions des subdélégués furent dès l'origine ce qu'elles devaient être au milieu du siècle. Il y eut probablement - en Bretagne comme ailleurs - des subdélégués temporaires à compétence restreinte » (Fréville, L'Intendance de Bretagne, t. 1, p. 81). Des documents relevés par Fréville et datés de 1695 portent en effet mention de l'existence de subdélégués pour la capitation, qui souvent, deviennent par la suite des agents de l'intendance. Ils coexistent dès 1689 avec les subdélégués ayant reçu de l'intendant des « commissions générales les habilitant à enquêter au nom du commissaire départi et à le substituer autant de fois que cela serait nécessaire dans des affaires de police par exemple, mais seulement après avoir reçu mention explicite » (Fréville, L’intendance de Bretagne, t. 1, p. 81).
L'entrée en fonction de Chamillart en 1699 marque la fin de l'hostilité du contrôleur général des finances à l'égard des subdélégués. Longtemps mal vus par le gouvernement central, les subdélégués ont été érigés en titre d'office par un édit d'avril 1704 (AD35, A 17). En droit, ils ne sont restés des officiers que jusqu'à un nouvel édit au mois d'août 1715. « En fait, ils paraissent s'être comportés comme tels à peu près partout, avec l'assentiment des intendants, jusqu'à leur disparition en 1790 » (Ricommard, « Les Subdélégués des intendants... », p. 53). Cet épisode a consacré leur importance administrative.
C'est donc dès le début de son existence que l'intendance a été divisée en subdélégations, qui ont atteint en se multipliant le nombre le plus considérable de tout le royaume de France. Il existe, en effet, un « état d'arrondissement général des subdélégations de la province de Bretagne » (AD35, C 1), daté de 1713, qui indique un nombre de 86 subdélégués.
UN RÔLE LIÉ À LA LEVÉE DES NOUVEAUX IMPÔTS
L'abonnement du dixième par les États de Bretagne porte un coup à l'autorité des subdélégués dans la généralité. Il faut arriver à l'année 1749 et au remplacement du dixième par le vingtième pour voir les subdélégués réapparaître au premier plan, tant leurs fonctions sont liées à la gestion de l'impôt.
LA PLACE DES SUBDÉLÉGUÉS DANS L'ORGANISATION DE L'INTENDANCE ET SES RÉFORMES
Il ne faut pas confondre les subdélégués répandus sur le territoire de la généralité et parfois pourvus de « subdélégations générales » (par opposition à « spéciales »), avec le « subdélégué général ». Celui-ci, « tel qu'il apparaît à la fin du XVIIe siècle est en quelque sorte un intendant au petit pied. Il fait fonction d'intendant et correspond avec le contrôleur général dans les mêmes conditions que l'intendant. Sa situation est différente de celle des autres subdélégués : il est pourvu d'une commission du roi et non pas seulement de l'intendant ». (Ricommard, « Les Subdélégués des intendants... », p. 67).
Les intendants ont toute liberté dans le recrutement et le choix de leurs subdélégués, sauf dans le cas de plaintes qui remonteraient au contrôleur général contre l'un d'eux. Le plus souvent, même lors de la nomination d'un nouvel intendant, les subdélégués sont reconduits. « Les commis des intendances furent généralement recrutés volontairement par les intendants en dehors du pays. Il y eut donc généralement contraste entre les bureaux [...] et les subdélégués, agents locaux, tous issus du terroir et y ayant des intérêts positifs. Il n'en faut pas conclure qu'il y eut fréquemment opposition entre les uns et les autres : ceux des subdélégués – et ils étaient nombreux – qui n'étaient pas particulièrement ouverts aux idées nouvelles ni enclins à faire passer avant tout l'intérêt de l'État, se trouvaient néanmoins entraînés insensiblement à modifier leurs points de vue et à devenir des agents actifs de transformation des mœurs et de l'esprit public. » (Henri Fréville, L'Intendance de Bretagne, t. III, p. 19-20).
Le nombre de subdélégués a pu varier considérablement, tempéré par le retour régulier de velléités de réduction, qui visait à réorganiser la fonction en s'appuyant sur les meilleurs éléments. Entre 1733 et 1753, le subdélégué général Védier supprime vingt subdélégations, en ramenant le nombre à 62 (Fréville, « Notes... », p. 137). Plus tard, l'intendant Caze de La Bove inclut une réforme de l'institution des subdélégations et de leur nombre dans un grand projet de réorganisation de l'intendance. Le nombre des subdélégations doit être réduit à 32 et leur étendue géographique précisée de manière à pouvoir en dresser une carte. Cette opération n'a pas été facile et a en partie avorté, les subdélégués visés s'étant défendus avec tenacité, donnant à l'appui des arguments historiques et administratifs dont l'intendant ne pouvait négliger le poids.
Son successeur Bertrand de Molleville reprend l'idée de réforme, en particulier par la formation des agents. C'est pourquoi il rédige des « instructions » à l'usage des subdélégués, où il insiste beaucoup plus sur les fonctions sociales de ses agents que sur leur rôle de police. C'est aussi vers la fin de l'Ancien Régime que le nombre d'enquêtes confiées aux subdélégués par les intendants augmente considérablement ; ce qui explique la place étonnante des dossiers sur les épidémies qui sont parvenus aux Archives départementales du Morbihan, dans la petite proportion de documents qui ne concernent pas le vingtième.
Au début, les subdélégués ne reçoivent aucun traitement pour leur travail. Le principe d'offrir des gratifications aux subdélégués date de Turgot, et s'est poursuivi sous Necker. Cependant, celles-ci n'ont jamais été considérables, et on voit les intendants de la fin du règne de Louis XVI s'excuser auprès de leurs subdélégués de ne pouvoir les récompenser à leur juste mesure.
Formés aux matières administratives, les subdélégués en fonction au moment de la liquidation de l'intendance ont su trouver leur place dans les nouvelles administrations départementales mises en place sous la Révolution.